Le 8 mars 2018, le blog zététicien La Menace Théoriste publiait un article intitulé « Aux origines intellectuelles de la justice sociale intersectionnelle ». L’article nous prévient d’une menace que la gauche universitaire ferait peser sur la liberté d’expression, sur la science et sur la raison elle-même. C’est un très mauvais article, brouillon, manipulatoire et insultant, et c’est la raison pour laquelle j’avais commencé à travailler dessus : je voulais démonter les affirmations une à une, montrer les mécanismes manipulatoires à l’œuvre dans la construction du croque-mitaine qu’est cette « justice sociale intersectionnelle ». Un travail que je n’ai jamais fini.
L’auteur de l’article, un certain Vincent Debierre, animateur du podcast « Liberté Académique », s’est fait une spécialité d’importer en France le mythe de la « free speech crisis». Il s’agit d’un discours alarmiste, voire complotiste, principalement porté par la droite et l’extrême-droite anglophone : celui d’une crise de la liberté d’expression sur les campus américains, crise provoquée par des militants de gauche dogmatiques, violents et tendanciellement dictatoriaux. Ce mythe vient s’inscrire dans un discours anti-intellectualiste plus général : il ne faudrait pas croire les travaux des universitaires quand ils contredisent les idéologies de droite (ce qu’ils font souvent), parce qu’ils sont le produit d’une université gangrenée de vilains idéologues gauchistes qui s’opposent à la vraie science et endoctrinent la jeunesse (un discours classique de la droite conservatrice et de l’extrême-droite qui revient régulièrement depuis… ouhla….). La spécificité de ce mythe est qu’il vient nourrir l’anti-intellectualisme et la méfiance envers les travaux universitaires au nom même de la défense de la science et de la raison – ce qui lui permet de trouver écho, notamment, dans la sphère sceptique.
Voilà pourquoi je voulais m’attaquer à cet article, qui consistait en un parfait résumé des obsession de la droite américaine ces dernières années. En fait, je n’ai pas pu dépasser les dix premières lignes sans tomber sur assez de matière pour un article entier. Tout est donc resté dans les cartons.
Le moment est venu de ressortir tout ça et de le publier, dans l’état (c’est-à-dire, incomplet et imparfait) en espérant qu’il puisse servir à la lutte contre ce discours à l’heure où il se fait plus pressant encore en France, notamment dans les colonnes du Point.