Homosexualité : La lettre de Jacques

Samedi, la Tronche en Biais accueillera le biologiste Jacques Balthazart, sur le thème « biologie et orientation sexuelle ». Une perspective qui, pour être honnête, me fait craindre le pire, autant quant à la forme que quant au fond. Cet article, et celui qui devrait suivre, sont des tentatives de désamorcer en amont tout ce que j’ai peur de retrouver dans ce live.

Dans ce premier article, nous nous intéresserons à des questions de forme : les approximations, les postures, et les effets rhétoriques manipulatoires (qu’ils soient utilisés de bonne foi ou non) que l’on retrouve trop souvent dans le discours public de Jacques Balthazart, comme dans les interventions sur ce sujet d’Acermendax (présentateur de la Tronche en Biais).

Nous parlerons, dans notre prochain article, des questions de fond, et ce sera l’occasion d’expliquer en quoi consistent certaines des approches sociologiques de la question de l’orientation sexuelle, que, comme nous allons voir, Balthazart comme Acermendax semblent ignorer ou très mal comprendre. 

Cet article s’adresse à la fois au public potentiel de cette émission, dont je sais qu’il constitue une partie de ma propre audience, mais également à l’équipe de la TeB (dont j’imagine qu’ils entendront parler de mon texte), et même à tout·e lecteur·rice intéressé·e par la question. 

Faisons les présentations

Jacques Balthazart est neurobiologiste, spécialiste du comportement animal, plus exactement du rôle qu’y jouent les hormones. Il est l’auteur d’un ouvrage paru en 2010 et intitulé « Biologie de l’homosexualité. On naît homosexuel, on ne choisit pas de l’être ». Le titre résume bien sa thèse principale, à savoir que l’homosexualité est un trait biologique chez l’être humain,  présent dès la naissance et qui se révèle au cours du développement. Une position qu’il qualifie lui-même d’essentialiste, mais qu’il ne veut pas pour autant homophobe. Il déclare en effet, dans le quatrième de couverture de son livre : « Une compréhension de ces mécanismes biologiques devrait conduire à une acceptation plus large de l’homosexualité dans la population et réduire la souffrance des personnes concernées ». Il défend également la thèse de son livre dans ses conférences (que l’on peut trouver sur sa chaîne Youtube).

Pour soutenir son propos, il fait appel à un ensemble d’études statistiques, biologiques, médicales, issues de l’observation animale ou de l’anthropologie. Nous n’allons pas rentrer ici dans le détail de ses arguments, notamment car le travail a déjà été entamé par la chercheuse Odile Fillod, du blog Allodoxia. Elle a, à deux reprises déjà, pointé les inexactitudes du travail de Balthazart, le mauvais usage qu’il lui arrive de faire de ses sources et les manipulations grossières qu’il se permet à l’occasion.

Odile Fillod présente le parcours de Balthazart et son livre lors de son article consacré aux singes, plus exactement consacré à une étude sur les supposées préférences des singes mâles et femelles en matière de jouets et aux abus d’un certain nombre de chercheurs et vulgarisateurs français qui lui font dire n’importe quoi. Son second article le concernant, le plus complet (je vous conseille de le lire avant le live, si vous comptez y assister), a été écrit à l’occasion de la controverse Max Bird, dont on va parler maintenant.

Dernière passe d’armes

En mai 2017, le youtubeur et humoriste Max Bird publie une vidéo sur l’homosexualité réalisée avec l’aide de Jacques Balthazart et reprenant ses arguments, dans le cadre de la journée de lutte contre l’homophobie et la transphobie. Une vidéo qui reçoit un très bon accueil par le public, mais pour le moins ratée du point de vue de la vulgarisation. Odile Fillod n’est la seule à critiquer cette vidéo : Thomas Durand, alias Acermendax, présentateur des émissions live de la Tronche en Biais (qui, si vous avez bien suivi, recevra donc Balthazart dans deux semaines), la critique également sur son blog.

Acermendax n’est pourtant pas hostile aux « explications biologiques » de l’homosexualité, il a lui-même consacré des articles et interventions à ce sujet (ici, ou encore ici). Lui aussi biologiste de formation, aujourd’hui vulgarisateur en « pensée critique », il défend l’importance du rôle de la génétique dans l’orientation sexuelle, ce en quoi il s’oppose en partie à Balthazart, qui y voit plutôt l’influence des hormones prénatales, mais en partie seulement. D’ailleurs, quand Acermendax renvoie ses lecteurs au travail d’Odile Fillod, c’est avec un avertissement mystérieux : « bémol – blog hostile aux explications biologiques des comportements genrés et adoptant parfois une posture idéologique ».

Si Mendax est également critique de cette vidéo de Max Bird, Jacques Balthazart, en revanche, monte au créneau pour la défendre, publiant une lettre ouverte intitulée « Quand avez-vous choisi d’être hétérosexuel ? ». C’est par cette lettre ouverte que je vous propose d’entrer dans le vif du sujet, car elle comporte de nombreux procédés rhétoriques particulièrement bas, qui me semblent révélateurs de ce que l’on peut reprocher, dans la forme, aux propos de notre neurobiologiste. Avant le live de la semaine prochaine, il me paraît important de se prémunir contre ce genre de manipulations, nous allons donc les étudier en détail.

Assez étonnamment, cette lettre est co-signée par de nombreux membres éminents de la communauté zététicienne française, des chercheurs du CNRS comme Franck Ramus et Nicolas Gauvrit, dont je n’imaginais pas qu’ils puissent parapher sans honte un texte aussi mauvais (leurs détracteurs diront que je suis naïf, je le sais). Je ne suis pas surpris, en revanche, d’y trouver la signature de Peggy Sastre, dont j’ai déjà parlé dans un précédent article et qui, décidément, est de tous les bons coups.

Quand avez-vous choisi d’être un faux dilemme ?

Cette lettre ouverte, donc, s’intitule « Quand avez-vous choisi d’être hétérosexuel  ? ». Le ton est posé : par cette question, il prête à Odile Fillod la conviction que l’orientation sexuelle est un choix, puisque celle-ci s’oppose à sa thèse essentialiste. Cette opposition entre choix et déterminisme biologique est récurrente dans les textes de Balthazart.

Nul besoin d’être un expert pour reconnaître là un grossier faux dilemme, Balthazart ramenant une question complexe à deux alternatives simples, dont une est faite pour ne convaincre personne, et dont l’autre est sa thèse. Et il ne s’agit pas ici d’une formulation maladroite : ce faux dilemme est martelé lourdement par notre biologiste durant toute sa lettre, et même, durant toute sa carrière médiatique.

 Son livre avait déjà en sous-titre « On naît homosexuel, on ne choisit pas de l’être ». Il nuançait son propos dans le quatrième de couverture : « Vu la complexité de la personne humaine, ceci n’exclut pas qu’il puisse exister des homosexuels pour qui cette orientation constitue un choix de vie délibéré, éventuellement influencé par des expériences antérieures. Cependant, une large proportion des homosexuels naissent avec cette orientation sexuelle qui se révèle à eux de façon progressive au cours du développement et n’est souvent acceptée qu’au prix d’une souffrance psychologique importante ». Il y aurait donc deux sortes d’homosexuels, ceux qui l’ont choisi et ceux qui naissent avec cette orientation sexuelle et qui la « découvrent ».

Il entame même la conclusion de sa lettre par : « il existe à ce stade un faisceau données (sic) convergentes qui indiquent que l’homosexualité n’est pas un choix (ce que beaucoup semblent prêts à admettre en France) mais qu’en plus elle est largement influencée voire déterminée par des facteurs biologiques prénataux (ce qui semble en heurter beaucoup) ». Notez les petites remarques entre parenthèses, qui semblent ironiser sur le fait que « beaucoup » récusent l’une des alternatives sans pour autant accepter l’autre, comme si cela relevait d’une profonde incohérence. Faut-il être sûr de soi pour trouver illogiques ceux qui refusent de vous suivre dans vos sophismes.

En effet, pas besoin d’être un génie scientifique pour voir qu’il exclut la possibilité de déterminismes non-biologiques prénataux, ainsi que les facteurs postnataux, biologiques ou non (nous n’irons pas plus loin aujourd’hui, nous parlerons des autres théories dans le prochain article). S’ensuit alors un petit bijou de sophistique, qui commence par une forme d’appel à l’ignorance (« je ne connais pas d’autre théorie, ma théorie est donc juste ») mais qui se termine de manière bien plus tordue. Lisons-le attentivement : « Je n’ai jamais vu de théorie alternative qui soit quelque peu plausible pour expliquer pourquoi la majorité des humains sont sexuellement attirés par les personnes de l’autre sexe (et ne se demandent jamais pourquoi) mais une minorité choisirait d’avoir une attitude différente, de tomber amoureux-se et d’avoir des relations sexuelles avec des personnes de leur sexe au risque de se faire casser la figure à chaque coin de rue (dans nos sociétés qui sont parmi les plus tolérantes…). Il suffit de voir la souffrance des adolescents qui se découvrent être attirés par des personnes de leur sexe et leur taux de suicide 4 à 10 fois plus élevé que la moyenne pour s’en convaincre »

Alors ? Vous l’avez vu ? A la lecture, ça passe crème, mais prenons un peu de temps. Il « suffit de voir la souffrance des adolescents » (appel à l’émotion) et leur taux de suicide « 4 à 10 fois plus élevé que la moyenne » (scary numbers) pour « s’en convaincre». Mais pour se convaincre de quoi, exactement ? Que ce n’est pas un choix ou qu’il n’a jamais vu de théorie alternative ? Admirez l’artiste : il commence sa phrase par en expliquant qu’il ne connait pas de théorie alternative plausible, puis postule immédiatement que cette théorie alternative « expliquerait pourquoi […] une minorité d’humains choisiraient [d’être homosexuels] ». C’est sûr que s’il demande à sa « théorie alternative » d’expliquer quelque chose en lequel on ne croit déjà pas, on ne risque pas de la trouver plausible.

Ayant ainsi neutralisé toute possibilité d’autre explication, on comprend comment Balthazart peut se permettre de conclure en revendiquant son manque de rigueur : « Le détail des arguments qui soutiennent la théorie biologique est à ce niveau sans importance: le faisceau d’arguments convergents pointe clairement vers une théorie essentialiste … ».

Ergotons sur les détails

En effet, notre neurobiologiste n’aime pas que l’on lui demande de faire preuve de rigueur. Il lâche même : « Il existe en France un courant idéologique qui remet en cause l’idée d’un contrôle biologique de l’orientation sexuelle en ergotant sur le détail des données disponibles qui soutiennent cette théorie générale. Aucune de ces critiques n’invalide une théorie spécialement si on ne propose pas de théorie alternative ».

Passons sur l’accusation floue d’appartenance de ses contradicteurs à un mystérieux « courant idéologique » dont on ne saura rien, une victimisation typique chez les mauvais scientifiques. Regardons plutôt ce que Jacques Balthazart appelle « ergoter sur le détail » en prenant un extrait d’une de ses conférences au Congrès de l’Encéphale à Paris en 2014 : « On remarque tout d’abord que, il y a dans toutes les sociétés une prévalence de l’homosexualité qui est relativement constante, qui tourne entre 2 et 10%, et que cette prévalence de l’homosexualité n’est en rien liée à l’attitude de la société vis-à-vis de cette homosexualité ».

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Peut-être est-ce ergoter de signaler, comme le fait Fillod, que les données présentées ne concernent que sept pays à une date donnée, ce qui est bien loin de « toutes les sociétés »,  et que « entre 2 et 10% » ce n’est pas « relativement constant » mais du simple au quintuple en terme de prévalence.

En revanche, quand Balthazart enchaîne, il explique : « Ce qui est particulièrement interpelant, c’est ce qui se passe dans ces sociétés, ici [celles avec une astérisque sur la diapositive, indiquées « les plus relativement tolérantes envers l’homosexualité »] d’extrême-orient, Pilau, en Thaïlande et aux Philippines, où les relations homosexuelles sont la règle chez les hommes et jeunes adolescents de sexe masculin en tout cas, donc tous les jeunes adolescents ont des relations homosexuelles. Et, quand on voit à l’âge adulte ceux qui se fixent dans cette orientation sexuelle, ben ce pourcentage n’est certainement pas supérieur à ce que l’on voit dans d’autres pays. Donc, les premières expériences sexuelles n’ont certainement aucun rôle ».

Tout est mensonger dans ce passage, mais je préfère laisser Odile Fillod l’expliquer :

[TW : viol] « Non, « tous les jeunes garçons » n’ont pas des « relations homosexuelles avant le mariage » dans ces pays. Cela ne concerne que certains groupes ethniques, et surtout il s’agit de pratiques homosexuelles rituelles imposées, telles que l’obligation de pratiquer des fellations répétées sur des hommes mûrs et d’avaler leur sperme, et non de « relations homosexuelles ». Il est particulièrement hardi d’avancer que ces sociétés sont très tolérantes vis-à-vis de l’homosexualité (masculine en l’occurrence), ainsi que l’indique Jacques Balthazart sur sa diapo en montrant en outre un pourcentage trompeur. […]
Or comme l’ont souligné les ethnologues qui se sont penchés sur ce type de rituels, ils s’inscrivent en général dans une culture extrêmement sexiste, du genre de celles qui sont au contraire propices au développement d’une phobie envers l’homosexualité.
En l’occurrence, il se trouve que l’archipel micronésien des Palaos [ce que Balthazart appelle Pilau, Palaos en français] n’a dépénalisé qu’en 2014 la « sodomie », jusqu’alors passible de 10 ans de prison et qualifiée de « crime contre la nature abominable et détestable ». […] De plus, Jacques Balthazart montre un pourcentage de 4,7% pour ce pays en parlant des hommes « qui se fixent à l’âge adulte dans cette orientation (homosexuelle), or selon sa source (Diamond 1993), il s’agit du pourcentage d’hommes âgés de 20 ans ou plus ayant déclaré en 1991 avoir eu au moins une expérience sexuelle avec un autre homme au cours des 12 derniers mois (1,9% ont déclaré n’avoir eu que des relations homosexuelles au cours des 12 derniers mois) ».

Cacher les arguments derrière la thèse

Bref, voilà ce que Jacques Balthazart appelle « des limitations spécifiques des données expérimentales ». Dans la littérature scientifique, on utilise plutôt les termes « contresens », « manipulations de données » et « généralisations abusives ». Mais Jacques Balthazart maîtrise l’art de la litote, puisqu’il va s’employer à minimiser la portée des critiques de Fillod, comme s’il ne s’agissait que de pécadilles bien ordinaires dans le champ scientifique.

Le tout au service d’un procédé manipulatoire que j’appelle « cacher les arguments derrière la thèse », et que l’on peut retrouver dans le plan de sa lettre.

Remontons un peu le texte, voici son plan en quatre points : « Je voudrais montrer ici 1) que l’idée d’un contrôle biologique de l’homosexualité est fermement ancrée sur des bases scientifiques solides, 2) que pour vulgariser un domaine scientifique il est nécessaire de simplifier les faits ce qui bien entendu prête à une critique facile mais injustifiée 3) que la critique de détails des études individuelles n’affecte pas la validité générale d’une théorie, et enfin 4) que ce type de critique n’est pas constructive (sic) tant qu’elle ne propose rien en échange et qu’elle contribue ainsi à isoler intellectuellement la France du reste du monde ».

Le point 2 vient défendre Max Bird, comme si ce n’était que lui qui était ciblé par la critique, et non pas les faits erronés avancés par Balthazart. Nous ne nous y arrêterons pas. Nous reviendrons sur ce scandaleux point 4 plus tard. Restons sur les points 1 et 3, qui se répondent de manière très curieuse : dans le point 1, on nous demande d’adhérer à la thèse de Balthazart, puisqu’elle repose sur des bases scientifiques solides. Ensuite, dans le point 3, on nous demande d’ignorer la critique de ces mêmes bases, puisqu’elles soutiennent une thèse valide.

De manière assez ironique, il s’agit d’un procédé rhétorique que j’avais relevé pour la première fois dans l’un des live de la Tronche en Biais, à l’époque où je collaborais avec eux. J’y dénonçais l’usage de ce procédé chez Jacques Grimault, le pseudo-archéologue complotiste qui expliquait que les pyramides avaient été bâties par des êtres hyper évolués voulant nous prévenir de la fin du monde. C’est lui que j’ai vu, le premier, protéger ses arguments derrière sa thèse : à chaque fois que ceux-ci étaient sérieusement remis en question, il arguait que le détail de ses arguments n’était pas si important, puisque la vraie question était de savoir si sa thèse était juste ou non ; que critiquer ses affirmations individuellement était inutile puisqu’elles appartenaient à un faisceau d’indices, présumé solide indépendamment de la qualité de chacun pris séparément.

Effectivement, « la critique de détails des études individuelles n’affecte pas la validité générale d’une théorie« , il se peut même qu’une thèse bonne soit parfois soutenue par des arguments mauvais. Il n’empêche qu’un faisceau de mauvais indices, même convergents, ne prouve rien, et la qualité des études individuelles joue sur la confiance que nous pouvons avoir en la justesse de cette théorie. Le travail scientifique consiste notamment à évaluer correctement la qualité des bases  à partir desquelles nous tirons des conclusions, on ne peut pas affirmer d’un même mouvement qu’une thèse est «  fermement ancrée sur des bases scientifiques solides » et dire que « le détail des arguments qui soutiennent [cette thèse] est à ce niveau sans importance ».

Or, si Balthazart reconnait à Fillod que ses critiques sont souvent pertinentes, il nie tout simplement qu’elles puissent avoir la moindre capacité de le faire se remettre en question : « Dans ce blog consacré à Max Bird et par voie de conséquence à mon livre, de nombreuses pages sont consacrées à relever des omissions, simplifications voire erreurs concernant des points précis de ce qui est avancé. Je n’ai ni le temps ni l’envie de répondre point par point à cette argumentation détaillée Les points relevés sont en effet souvent, mais pas toujours, corrects sur le détail. Le problème est cependant que en (sic) montrant des limitations spécifiques des données expérimentales on ne réussit pas pour la cause (sic) à déconstruire une théorie générale ».

Effectivement, Odile Fillod n’a pas « déconstruit » la théorie de Balthazart, mais ce n’est pas ce qu’elle prétend faire lorsqu’elle pointe les erreurs dans ses propos : elle se contente de dire que nombre d’arguments avancés par Balthazart et repris par Max Bird sont faux. Ça ne déconstruit pas la théorie, mais, et ça m’embête d’avoir à le rappeler, ce n’est pas à elle de prouver que la thèse de Balthazart est fausse, c’est à lui de convaincre qu’elle est juste. Et l’on ne peut pas reprocher à Fillod d’exiger de lui qu’il le fasse avec des propos factuellement justes, y compris dans le détail.

T’as qu’à faire mieux

Revenons maintenant au point 4 du plan de notre biologiste. Pour rappel : « ce type de critique n’est pas constructive (sic) tant qu’elle ne propose rien en échange et [elle] contribue ainsi à isoler intellectuellement la France du reste du monde ».

Tout dans cette phrase est indigne d’un scientifique. D’abord, reprocher à quelqu’un qui critique ses travaux de ne pas être « constructif » est ahurissant : c’est à celui qui avance une thèse de la soutenir, évidemment que ceux qui en sont sceptiques vont tenter de pointer les failles de cette démonstration. Demander à la critique d’être « constructive » a du sens dans une perspective pédagogique, ou pour apaiser les tensions dans une cours de récréation, mais c’est une exigence qui n’a rien à faire dans le débat scientifique.

De même, exiger de la critique qu’elle « propose quelque chose en échange » pour prendre en compte ses arguments est à l’opposé du fonctionnement de la science. Je n’ai nul besoin de proposer une autre manière de soigner le cancer pour critiquer les prétentions d’efficacité de l’argile verte.

Cette injonction à « proposer quelque chose d’autre » n’a rien à faire sous la plume de quelqu’un qui réclame la légitimité scientifique, et j’enrage véritablement de voir des chercheurs du CNRS signer, en cette qualité, un texte dont un passage dit en substance « t’as qu’à proposer mieux si tu es pas content ». Il n’y a, d’ordinaire, que dans les milieux religieux ou complotistes que l’on peut entendre « si j’ai faux, alors pourquoi il y a des homosexuels ? ».

La menace idéologique

Ainsi, tout en admettant la pertinence des critiques d’Odile Fillod, Balthazart en minimise la portée : ce sont des arguties, elles ne sont pas constructives, elles ne peuvent pas remettre la théorie en cause…

Mais il ne fait pas que ça : il passe à l’ad hominem et, pour disqualifier sa détractrice, l’accuse d’appartenir à un mystérieux « courant idéologique ». Il insiste, même : « Les écrits d’Odile Fillod participent d’un courant idéologique particulièrement développé en France qui tend systématiquement à nier, occulter ou déconstruire toute étude qui mettrait en évidence un facteur biologique impliqué dans le contrôle de comportements humains ».

Semble-t-il, « une telle attitude est rarement présente dans les pays anglo-saxons voire même en Belgique ou plus de la moitié de la population pense que l’homosexualité est contrôlée par des facteurs biologiques (sondage réalisé et publié par le Vif-L’Express édition belge en avril 2013) ».

C’est bien évidemment une ânerie, n’en déplaise au sondage réalisé par le Vif-L’Express édition belge en avril 2013. D’ailleurs, dans le prochain article, nous parlerons des interactionnistes américains et des travaux d’Howard S. Becker, que Balthazart semble méconnaître et qui font pourtant autorité depuis les années 60 en terme d’étude de la déviance à la norme.

Une ânerie originale, puisque d’habitude j’ai tendance à entendre l’inverse, à savoir que le vilain constructivisme social (ou le postmodernisme, ou la théorie queer, ou les gender studies, choisissez votre épouvantail) viendrait des pays anglo-saxons où les universités seraient maintenant submergées de petits sauvageons obscurantistes (vous pouvez trouver un extrait de cette propagande dans un très mauvais article de Pour la Science). Comme quoi, on peut faire dire n’importe quoi aux universités américaines (qui, en réalité, sont traversées de controverses comme c’est également le cas en France, tout simplement).

Mais revenons à ce mystérieux « courant idéologique particulièrement développé ». Comme je l’expliquais dans un précédent article, les mots « idéologique », « militant » ou « politique » sont des termes stigmatisants dans le champ scientifique, où l’on s’imagine que le chercheur se doit d’être neutre et de n’avoir aucun avis sur son objet de recherche pour produire un travail de qualité. Je me permets néanmoins de réécrire mes mots de l’époque : l’apolitisme scientifique est un obscurantisme. Car enfin, comment nommer autrement l’usage d’un stigmate pour décrédibiliser les conclusions d’un raisonnement scientifique ? D’autant que de cette mystérieuse idéologie anti-biologiste, nous ne saurons rien dans cette lettre de Balthazart. Il faut dire que, dans son livre, c’est surtout la psychanalyse qui joue ce rôle de croquemitaine.

Je vais donc sortir un peu de cette lettre et m’intéresser aux vidéos et déclarations d’Acermendax, son hôte de la semaine prochaine, qui peut nous en apprendre plus à ce sujet. Rappelons-nous qu’il considère qu’Odile Fillod « adopte parfois une posture idéologique », sans doute en sait-il plus sur cette mystérieuse idéologie. Comme, cependant, il n’est pas très explicite lui non plus, je vais devoir faire des hypothèses à ce stade. Libre à lui (ou à Balthazart, qui sait) de me corriger si je me trompe sur la nature de cette idéologie qu’ils perçoivent chez leurs détracteurs.

Voici comment se termine la vidéo d’annonce, par Acermendax, de l’émission de samedi prochain : « Je pense que ce sera intéressant d’aller creuser un peu ce sujet pour déblayer un peu les idées reçues, les caricatures, les rumeurs, les choses qu’on entend sur ce type de recherche… qui n’est pas une recherche de nazis, hein ».

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Cette crainte de se voir accusé à tort d’être un dangereux fasciste se retrouvait déjà dans son intervention dans le Poscast Sciences 225, où il consacre sa dernière partie à rassurer son audience contre les « risques d’eugénisme » qui pourraient découler de la découverte de facteurs génétiques de l’homosexualité. Il rassure, avec une naïveté un peu touchante : « C’est pourquoi une société dirigée par la raison et non par l’idéologie ne peut pas sombrer dans l’eugénisme… si elle est vraiment dirigée par la raison et non par l’idéologie. Et c’est pour cela qu’il faut laisser aux chercheurs la liberté d’étudier ces questions et de comprendre ce qui fait que nous sommes qui nous sommes ».

Nous ne parlerons pas ici de cette fausse opposition entre raison et idéologie, il n’est pas le seul à la faire et nous y consacrerons sans doute un article un jour. Ce que nous voulons mettre en évidence ici, c’est la posture dans laquelle se place Acermendax : celui du scientifique incompris, qu’on accuse à tort de visées politiques nauséabondes alors qu’il ne recherche que la vérité.

Cette posture porte en elle une vision de ses détracteurs : les Odile Fillod et autres « idéologues » refuseraient d’accepter la validité de ses travaux, non pour des raisons scientifiques, parce qu’elles seraient rationnellement en désaccord, mais pour des raisons idéologiques, en raison des conséquences politiques supposées de ces recherches (sur lesquelles, en plus, elles se méprennent). Bref, comme aurait pu dire Desproges : « l’idéologue est bête, il croit que c’est nous l’idéologue, alors que c’est lui ». On comprends alors que la première préoccupation de Mendax n’est pas de questionner les arguments présentés par Balthazart, ni même les contre-arguments de Fillod, mais de « déblayer un peu les idées reçues » histoire de bien rassurer tout le monde.

Les désaccords sur la nature de l’homosexualité ne sont pas, dans la posture qu’il adopte, des controverses scientifiques, dans lesquelles des chercheurs d’égales légitimités confronteraient leurs idées, mais une lutte entre la science et l’obscurantisme, entre les biologistes qui font de la recherche et ces vilains idéologues qui, eux, répandent des rumeurs et qui ont peur de la génétique, comme les peuples de « sauvages » pouvaient avoir peur des appareils photos.

À idéologue, idéologue et demi

Acermendax veut donc nous rassurer : même si la découverte de facteurs génétiques déterminant l’orientation sexuelle pourrait faire penser à de l’eugénisme, ce n’est pas ce pourquoi il se bat, il se bat seulement pour la vérité.

Et Balthazart d’accuser ceux refusant d’adhérer à ses thèses de le faire pour des raisons militantes. Pourtant, ce dernier ne rechigne pas à aller sur le terrain du politique quand ça l’arrange. Ainsi, il termine sa lettre par : « En défendant ce particularisme français, Odile Fillod et d’autres […] empêchent de faciliter l’intégration des homosexuels dans nos sociétés ».

Car, enfin, l’idée que l’homosexualité serait un trait biologique de l’humain porte en elle aussi, des conséquences politiques. Si elle peut justifier l’eugénisme, elle peut aussi lutter contre le discours conservateur selon lequel l’homosexualité serait « contre-nature » (puisque, si elle est déterminée biologiquement, c’est qu’elle est bel et bien le produit de la nature). Cette idée peut également permettre de combattre les odieuses thérapies de conversion encore autorisées et pratiquées dans plusieurs états des États-Unis, qui visent à « guérir » les homosexuels, et Balthazart ne l’ignore pas, il condamne d’ailleurs les thérapies de conversion dans un passage télé.

Si l’argument, d’un pur point de vue scientifique, n’est pas si fort que cela (c’est surestimer la portée de ce qui signifie « déterminisme biologique » ; qu’un trait biologique soit de naissance n’empêche absolument pas qu’une rééducation puisse être effective), ce n’est pas un hasard si l’idée que les homosexuels soient nés ainsi (born this way) fait partie de longue date des cris de ralliement de la communauté LGBT (voir l’image en exergue, prise à la Pride 2016 de New York) au nom du très libéral « droit à la différence » : les homosexuels sont juste des gens différents, apprenez à les tolérer.

Bref, Balthazart a en partie raison (et en partie tort, nous le verrons dans le prochain article) quand il dit qu’une telle idée peut permettre de lutter contre l’homophobie, et c’est d’ailleurs au nom de cette lutte qu’il défend son livre ou que Max Bird a réalisé sa vidéo de vulgarisation, qui se revendique même ostensiblement comme militante.

Mais comprenez qu’il est gonflé, dans le même texte, de reprocher à son adversaire de « faire partie d’un courant idéologique » et, dans le même temps, d’user d’arguments politiques pour défendre la justesse de son point de vue. On ne peut pas à la fois utiliser le qualificatif « idéologique » pour discréditer la critique de Fillod et lui reprocher « [d’empêcher] de faciliter l’intégration des homosexuels dans nos sociétés ».

Balthazart n’est pas aveugle sur l’aspect politique de sa propre démarche, ni incapable de l’assumer comme telle, il l’invoque seulement lorsque cela l’arrange : un coup se posant en scientifique neutre qui défend la vérité face aux obscurantistes, un coup parlant de l’importance de produire un discours permettant une intégration saine des homosexuels dans la société.

L’effet banane

Voilà ce que je crains de voir la semaine prochaine : deux biologistes tellement sûrs de leur thèse, à savoir que l’homosexualité est un trait biologique, qu’ils considèrent comme superflu de se questionner sur la rigueur des arguments qu’ils utilisent pour la défendre. Deux biologistes convaincus que seul un obscurantisme idéologique, une peur de la vérité, pourrait inciter à s’opposer à eux, sans voir les fondements idéologiques de leur propre position. Deux biologistes qui considèrent ceux qui les critiquent non pas comme d’autres scientifiques apportant la controverse, mais comme des pinailleurs « pas constructifs » et de mauvaise volonté ou des imbéciles à évangéliser.

Et les premiers effets de cette auto-suffisance commencent déjà à se faire sentir, dans ce que j’appellerai « l’effet banane » et que je résumerai ainsi : plus quelqu’un est convaincu d’avoir évidemment raison, plus ses arguments sont débiles.

Le nom vient de cette vidéo célèbre du créationniste Ray Comfort dans un talk-show évangéliste, où il tente de démontrer que Dieu a bien créé le monde puisque la banane est vraiment très pratique à manger, preuve qu’elle a été créée pour l’homme. Un argument tellement massue qu’il nomme la banane « le cauchemar des athées », comme si nous allions tous tomber de nos chaises face à ce raisonnement improbable. C’est évidemment un argument complètement con  (je laisse Nioutaik se charger de s’en moquer à ma place), mais intéressons-nous deux secondes à ce qui a rendu possible ce petit moment de n’importe quoi télévisuel.

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Je propose l’hypothèse que, si Ray Comfort peut croire et/ou faire croire qu’il peut démontrer la divinité de la création avec une banane, c’est vraiment qu’il a une opinion bien basse de l’intellect des athées, et qu’il s’imagine vraiment très facile de démolir toutes leurs critiques. Bref, qu’il sous-estime complètement la complexité de la question qu’il aborde, à tel point qu’il ne prend même pas la peine de réfléchir plus de deux minutes à la pertinence de ses arguments.

C’est ce que l’on semble voir à l’œuvre dans le texte d’annonce de l’émission de samedi avec Balthazart par la Tronche en Biais, dont voici le début : « Les préférences sexuelles ne sont pas choisies par ceux qui les éprouvent. On retrouve de l’homosexualité dans le monde animal. Cela signifie qu’il existe des facteurs biologiques innés à l’orientation sexuelle ». Ah bon ? Cela signifie, vraiment ?

Bon, déjà, il y a une confusion énorme entre « préférence sexuelle » et « orientation sexuelle » que Mendax semble utiliser comme des synonymes, elles aussi confondues avec les pratiques sexuelles des animaux (qui sont encore autre chose), ce qui est inquiétant en soit, mais…

En réalité, c’est seulement parce que l’existence de « facteurs biologiques innés » semble évidente à l’auteur de ce texte qu’il peut s’imaginer la démontrer par le fait que les préférences sexuelles « ne sont pas des choix » et par le fait qu’il y ait de l’homosexualité dans le monde animal. Car il n’y a, si l’on y réfléchit, aucun lien logique entre les deux premiers énoncés et le second, et Acermendax, qui est biologiste, devrait le savoir.

Pour n’importe quel autre comportement à propos duquel nous n’aurions pas cette présomption qu’ils sont liés à un déterminisme biologique, l’argument nous paraîtrait stupide. Comme par exemple : « Les gens qui se noient ne l’ont pas choisi. On retrouve des noyades dans le monde animal. Cela signifie qu’il y a des facteurs biologiques innés au fait de mourir par noyade ».

Qu’une telle énormité ait pu être écrite par un type qui fait des formations, des conférences, des vidéos de vulgarisation sur la pensée critique ne peut nous faire aboutir qu’à une seule conclusion : Acermendax est, ici, victime de l’effet banane.

La suite à venir

Bref, il y a toutes les raisons d’être vigilant sur la qualité du live de la semaine prochaine. Nous parlons d’un invité qui n’hésite pas à raconter n’importe quoi, à tordre ses sources, à mal lire ses chiffres, mais qui considère que c’est de l’ergotage que de le lui faire remarquer. Un invité qui n’hésite pas à utiliser toutes les bassesses pour disqualifier la critique et qui défend ses travaux avec des arguments dignes des complotistes les plus navrants que la Tronche en Biais ait pu recevoir.

Malheureusement, nous risquons d’avoir en face un présentateur conquis, tellement sûr de la pertinence de son approche et de la supériorité scientifique de sa thèse qu’il s’imagine avoir à démystifier un public mal informé plutôt qu’à devoir faire preuve de rigueur devant le tenant d’une position scientifique controversée aux arguments douteux. Et le fiasco de l’émission avec Peggy Sastre nous enseigne qu’un vautrage total n’est pas exclu.

Je vous invite donc à la plus grande prudence. D’ici là, j’espère pouvoir vous fournir une explication, sur le fond, d’en quoi la thèse défendue par Jacques Balthazart pêche scientifiquement, en quoi il échoue à prendre en compte les avancées scientifiques en sciences sociales des 50 dernières années, et, car je suis un critique constructif, à vous fournir un autre cadre d’études plus sérieux sur le rôle de la biologie dans les préférences sexuelles humaines.

Après tout, bien que critique, je souhaite fortement que ce live soit une réussite d’un point de vue de sa qualité, et si la sévérité que j’emploie dans cet article peut permettre à la Tronche en Biais d’éviter le fossé vers lequel ils semblent se diriger avec enthousiasme, alors je serai satisfait de mon travail.

 


Merci à toutes celles et ceux qui ont participé à la relecture de cet article et qui m’ont fourni de forts précieux retours.

Je rappelle à ceux qui ne le savent pas que L’Épervier est une association qui fait bien plus que ce blog.  On organise notamment une formation à Wikipedia à prix libre en décembre, en région parisienne, et il reste des places. On a également une page Tipeee, pas très importante parce qu’on ne fait pas (encore ?) de vidéos Youtube, mais vous pouvez soutenir nos spectacles et nos actions par ce biais.

11 réflexions sur « Homosexualité : La lettre de Jacques »

  1. […] En terme de capital symbolique, il s’attaque à des gens dont la stigmatisation est particulièrement forte, et que le grand public voit souvent comme des pervers sexuels atteints de troubles mentaux. Les spécialistes universitaires de ces questions, qu’ils soient anthropologues, sociologues ou sexologues, sont aussi considérés comme moins légitimes sur ces sujets que le premier biologiste venu (voir mes articles sur Jacques Balthazart). […]

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  2. C’est pourtant la bonne définition, elle est utilisée pour un tas de sujets : http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/2012/04/23/consensus-scientifique-rechauffement-climatique-climatosceptiques/
    On parle généralement de consensus scientifique à partir de 85 ou 90%. Plus il se rapproche de 100% et plus le consensus est fort.
    En effet, le plus dur, c’est de savoir qui est considéré comme spécialiste. Pour ça, il faudrait dans l’idéal une instance indépendante capable de déterminer les compétences de chaque personne, regarder s’il a des conflits d’intérêts… En pratique, ça ne se fait pas vraiment comme ça, chaque camp apporte sa liste. Par exemple celle des militants pro-OGM : https://www.huffingtonpost.com/jon-entine/post_8915_b_6572130.html

    Magré les pressions, le débat a lieu dans le milieu académique :
    http://wiki.reopen911.info/index.php/Articles_publi%C3%A9s_dans_des_revues_%C3%A0_comit%C3%A9_de_lecture
    Vous connaissez Lynn Margulis, décorée de la médaille nationale de la science par Bill Clinton ? Elle était la première femme de Carl Sagan, un scientifique américain qui a travaillé sur le scepticisme.

    Effectivement, c’est plus un débat pour ingénieurs structures. Je n’ai pas l’impression qu’ils sont nombreux à avoir validé la thèse du NIST.

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  3. La définition du consensus scientifique est claire. Pour qu’une thèse soit valide, il faut que l’immense majorité des spécialistes du sujet la valident. Ce qui n’est pas clair, ce sont les critères pour savoir qui est considéré comme spécialiste d’un sujet. A vérifier pour les OGM par contre pour les tours, il n’y a pas beaucoup de spécialistes qui valident la thèse du NIST.

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    1. C’est une définition qui me semble impropre, d’abord parce qu’elle manque de rigueur, ensuite parce qu’elle ne correspond pas à la réalité.

      Manque de rigueur, parce que je ne sais pas qu’est « l’immense majorité » des spécialistes, et, vous le dites vous-mêmes, car on ne sait pas qui est spécialiste ou qui ne l’est pas d’un sujet. Mais surtout, elle ne correspond pas à la réalité principalement parce que, dans la plupart des cas, l’immense majorité des spécialistes ne se prononce pas.

      L’immense majorité des chercheurs en ingénierie du bâtiment ne se sont pas prononcés sur la thèse du NIST et ne s’y prononcerait jamais. Pourquoi le feraient-ils ? Il faut s’imaginer le milieu académique comme un endroit où tout le monde a son sujet de recherche précis, sur lequel il est plus ou moins le spécialiste mondial (depuis le rôle des connexions neuronales dans la reproduction des crustacés en gravité 0 à l’histoire des métaphores animalières dans la poésie japonaise de l’ère Edo). En pratique, on à autre chose à faire qu’à aller lire les articles des collègues et jamais on se prononcera dessus si on a pas une bonne raison de le faire.

      En fait, le consensus scientifique, il me semble qu’il est bien mieux défini par l’absence de controverse – par exemple, ma thèse n’a suscité aucune controverse, on peut la considérer comme faisant partie du consensus scientifique, alors que je pense pas que plus de trois personnes l’ont lue en entier en-dehors de moi. Mais, ces trois personnes n’ont rien trouvé de faux dedans, donc bon, c’est accepté.

      La particularité de la thèse du NIST, c’est qu’elle est remise en question principalement par des mouvements extérieurs au milieu académique, mais je ne connais pas grand-monde à l’intérieur de l’institution scientifique qui s’y oppose ou qui ait argumenté contre, en tout cas personne de vraiment respecté ou d’influent, c’est sûr. Ce qui ne veut pas dire que la thèse soit juste, hein, mais je ne pense pas que ce soit faux de parler de consensus scientifique autour de cette thèse. Mais c’est vrai que c’est un consensus assez faible (comparé au consensus autour de l’utilité de la vaccination, par exemple), très peu de chercheurs s’étant penchés sur la question.

      En même temps, c’est assez normal, les évènements du 11 septembre relèvent assez peu de la sphère universitaire et plus des sphères journalistiques, militaires et ingénieriques que de la recherche universitaire à proprement parler.

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  4. L’article ne reproche pas à certains zététiciens de faire confiance à un consensus scientifique mais de faire croire qu’il y en a un alors qu’il n’y en pas. Si vous pensez qu’il y en a un, je peux bien que vous me disiez ce qui vous le fait penser.

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    1. C’est exact, ma première lecture était mauvaise. Je m’en suis rendu compte en me relisant plus tard, mais j’ai négligé de venir corriger mon commentaire.

      Pour répondre à votre question, il n’y a pas de définition claire et rigoureuse de ce qu’est ou non un consensus scientifique : dire « il y a un consensus scientifique autour de X » relève toujours au moins un peu du jugement de valeur – selon le degré d’exigence que l’on place derrière le mot « consensus », par exemple.

      Il n’est pas possible de démontrer rigoureusement qu’il y a ou n’a pas de consensus scientifique sur tel ou tel sujet, juste émettre un avis personnel, plus ou moins bien informé.

      Depuis ce que je vois de la communauté scientifique, il ne me semble pas qu’il y ait de controverses dans le monde universitaire sur la question des causes de l’effondrement des tours du WTC. Pour les OGMs, c’est plus subtil : s’il me semble y avoir consensus sur l’absence de dangerosité de la technologie de modification génétique en elle-même, chaque nouvelle modification génétique porte en elle ses facteurs de risque et de dangers, c’est difficile de parler scientifiquement des « dangers des OGMs » comme une seule et même entité.

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  5. Votre article est niquel et m’a donné une armée d’arguments pour mes prochains débats sur le sujet.
    Je me permets juste d’intervenir pour préciser que les thérapies de conversions existent et sont autorisées en France. Déjà, plus de gens sauront au courant de leur existence, plus vite elles pourront être interdites ; et ensuite parce qu’avant de taper sur le méchant américain, c’est bien de regarder ce qu’il se fait chez soi 😉

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    1. Vous faîtes une mauvaise étude de cet article : il y a un (relatif) consensus scientifique sur les OGMs et la thèse du NIST, même s’il n’est pas aussi fort que ce que l’on imagine parfois. Ce que cet article reproche à la Tronche en Biais (et à d’autres scientifiques « zététiciens »), surtout, c’est de faire a priori plus confiance à ce consensus qu’aux thèses alternatives sans se pencher sur les arguments de chacun.

      C’est une catégorie de reproches dont je prévois de parler dans un article futur (malheureusement, je mets beaucoup de temps à rédiger par rapport à mes envies).

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